[HistoireRP] Le domaine de Rougemont

[L'Expert et Illidrin]

"Quitte à rester coincé ici, autant trouver directement l'oiseau à envoyer dans les parages, assena l'Expert. Cela nous dégourdira les jambes." Lui aussi semblait perdre patience et surtout n'appréciait guère l'idée d'être complètement impuissant face aux éléments déchaînés. Après avoir lancés plusieurs sortilèges de détection, il en était arrivé à la conclusion qu'ils subissaient en ce moment même les conséquences des longues années de manipulation climatique dans la région.

Illidrin avait visé juste. L'ancienne famille de Rougemont devait être impliquée dans une affaire de nature magique et les enjeux économiques n'avaient certainement pas été la seule raison de la guerre qui l'avait menée au déclin. En mage responsable, l'Expert se refusait à utiliser ses propres pouvoirs pour ramener un temps clément qui leur permettrait de poursuivre leurs recherches.

Une fois qu'Illidrin eut composé son message, ils se mirent en route vers un bois proche. Pour les protéger, le mage forma une bulle magique qui atténuait, dans un espace réduit, les vents et empêchait la pluie d'y pénétrer. Ils y trouvèrent une bondrée apivore avec qui l'Expert entra en communication de manière similaire à la prouesse qu'il avait déjà réalisée auprès de Noirefutaie. Il invita le paladin à expliquer le plus précisément possible où le message devait parvenir et il traduisit dans le langage du rapace.

L'oiseau compris, accepta qu'on attache le message à sa patte et pris son envol en direction de Padhiver. Il lui faudrait trois jours pour atteindre sa destination.


[Sélène]

Les formes humanoïdes auxquelles Loup-Noir venait d'adresser son ultimatum se dessinèrent plus clairement en approchant et s'arrêtant à distance respectable, imposant leur présence sans montrer signe d'agressivité directe. Toute la troupe pouvait clairement distinguer une cohorte diabolique menée par une charmante Erinye.

Sélène ne put réprimer un grognement animal en s'apercevant de la nature de celles et ceux qui leur faisaient face. La jeune femme prit une profonde inspiration pour retrouver son calme et chercher en elle la force de convaincre Cyrien de ne pas donner l'ordre d'attaquer.

Après une légère hésitation, elle rompit sa position dans la Meute, s'avançant à hauteur de l'Alpha et du Bêta. Elle déclara sur un ton neutre, mais assuré : "Alpha, je sais qu'ils y sont et je crois deviner pourquoi ils sont là. Notre Meute court un grave danger si tu ne m'écoutes pas. Je te supplie de rester ici avec les autres et de me laisser seule discuter avec cette diablesse. Je te donnerai toute les explications auxquelles tu as droit à mon retour, pour autant que j'en revienne en vie."

La louve en devenir n'ajouta rien. Elle resta sur place, tremblant légèrement, songeant que la réaction de Cyrien scellerait le destin de sa Meute et le sien, par la même occasion.

[Sélène]

Aussi tôt que la jeune rousse se détacha de la Meute pour s'avancer vers l'Erinye, le reste de la cohorte de diabolique fit un pas en arrière, accentuant d'autant plus leur volonté d'éviter tout massacre inutile. Sélène et la diablesse disparurent dans les méandres de la forêt comme deux amies de longue date partant en balade. Deux créatures maléfiques se mirent en opposition, empêchant quiconque de les suivre.

L'attente dura une bonne demi-heure. Sélène réapparut à son point de départ, l'air toujours aussi déterminée. Elle bouscula sans ménagement les deux diables pour rejoindre la Meute. Ces derniers, ainsi que le reste de la cohorte sembla complètement disparaître dans les ombres du crépuscule.

La jeune louve s'arrêta devant Loup-Noir et prit une grande inspiration, les yeux fermés, luttant contre son corps qui voulait frémir. Tous les chiens et les loups pouvaient sentir la peur, l'angoisse qu'elle venait d'affronter.

Elle garda les yeux mi-clos, la tête légèrement baissée alors que le calme revenait en elle et déclara : "La Meute n'a plus rien à craindre. L'alpha diabolique, Emeraldine nous laisse continuer notre route. Elle me cherchait moi et voulait me parler, termina-t-elle dans un soupir".

[Sélène]

Au contact de Loup-Noir, sous le coup de l’émotion et sachant qu’elle ne couperait pas à l’interrogatoire, la jeune femme passa ses bras autour de la taille de l’homme et posa sa tête au creux de son épaule, les yeux légèrement humides. Elle qui était passée maîtresse dans l’art de la manipulation et de l’intrigue se sentait soudainement mise à nu face à l’alpha de la Meute et à la Louve-Bardée-de-Métal. La sensation était quelque peu désagréable, mais elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même de s’être mise dans une telle situation.

D’instinct, elle chercha Istovir des yeux, n’ayant aucune confiance en le drow. Ne le trouvant pas, elle répondit d’une voix mesurée, s’assurant de n’être audible que par Esna et Cyrien.

« Emeraldine voulait rappeler à mon souvenir d’autres engagements qui sont les miens. Loup-Noir, je ne suis pas qu’une marchande de fleurs et une renarde apprentie louve. Laisse-moi te dire d’où je viens et qui je suis. Je suis née dans l’enfer que représente la cité prison de Wheloon. C’est une ville du Cormyr dans laquelle les autorités envoient tous les criminels et dont personne n’en ressort. Pour te donner une image, j’ai été mise au monde dans une forêt peuplée de renards, de rats, de hyènes, de serpents et d’autres animaux encore plus vicieux et malfaisant s’il peut en exister.

Je ne sais pas qui est mon père, ni même ne suis certaine d’avoir été élevée par ma vraie mère. J’ai appris à survivre par moi-même au final, dans un environnement où la violence et la loi du plus fort sont la norme. Où le seul avantage d’être une femme, c’est de pouvoir satisfaire les mâles en haut de la chaîne alimentaire. Je n’ai pas sourcillé le soir de notre rencontre, lorsque tu m’as donné de la viande crue à manger, car cela représente un met de grands luxes comparés aux rats morts dont on devait parfois se nourrir à Wheloon.

Tu sais, Loup-Noir, la plupart des gens de la ville te jugent Toi et ta Meute, jugent de manière générale le monde animal comme des « sauvages » … lorsque tu as vécu à Wheloon, tu sais au fond de toi que l’humanité et sa prétendue civilisation n’a rien à envier aux animaux.

Enfin, je m’égare ... Lorsque je n’étais encore qu’une adolescente, bien entraînée au lancé du couteau et au jeu des intrigues entre les gangs, j’ai tout de même fait des erreurs qui allaient très certainement me coûter la vie. C’est alors qu’Emeraldine s’est manifestée et m’a littéralement sauvé la vie en me faisant sortir de Wheloon pour me conduire dans les bois du Cormyr, directement auprès de son alpha qui m'y attendait. »

Sélène marqua une pause dans son récit, sentant que ses prochaines paroles pourraient lui coûter très cher. Elle continua, la voix légèrement hésitante.

« Elle s'appelle Glasya, elle est la fille d'Asmodée, le Roi des Neuf Enfers et j'ai conclu un pacte avec elle. J'ai obtenu mon droit à la vie et l'accès à des pouvoirs magiques dont je ne pouvais que fantasmer l'existence. Tout ce qu'elle me demanda, en échange, c'est ma loyauté et mes talents à sa disposition pour nourrir ses ambitions.

Ô Loup-Noir, tu peux me juger coupable et faible si tu penses que je le mérite, mais crois-moi, sur le moment, Glasya paraissait bienveillante en comparaison des princes mafieux de Wheloon et de tous les nobles du Cormyr qui ferment les yeux depuis plus d'un siècle sur l'enfer qu'ils ont eux-mêmes bâti. Et maudis-moi si tu le penses, mais je suis toujours persuadée que Glasya est plus honorable et digne que bon nombre de politiciens de toutes les nations que porte Féérune, malgré sa soif infinie de pouvoir, propre à tous ceux de sa race.

Je suis venue à Padhiver à sa demande, dans ce rôle de marchande de fleurs. J'ai laissé libre cours à mes instincts et laissé parler mes atours. Une catin cherchant à s'attirer les faveurs des gentilshommes qui seraient tous prêt à la défendre dans l'adversité. Et puis … ce soir là, Loup-Noir, tu es apparu. Tout en toi m'a littéralement fait perdre la raison, a réveillé en moi un désir aussi ardent que les flammes du Phlegethos. Tu n'étais pas l'un de ces petits connards véreux, n'attendant qu'un clin d'oeil pour te prélasser dans la corruption ni l'un de ces chastes chevaliers aux mille vertus, prêts à vendre leur âme pour sauver la veuve et l'orphelin. Non, Loup-Noir, toi tu étais un loup, l'incarnation de la noblesse animale, de l'instinct primaire du chasseur et du vaillant protecteur des siens.

Sur le moment, j'ai tout oublié : mon contrat infernal, mes fleurs et mes conquêtes potentielles. J'étais prête et je suis toujours prête à te suivre jusqu'au bout du monde si tu me le demandais. Sois assuré que malgré tout ce que je puisse être, lorsqu'il a été question de la Meute, je ne me suis jamais permis le mensonge ni la manipulation et jamais je ne me le permettrai. Car aussi folle et malsaine que je sois, je le dis avec Esna pour témoin : si mon coeur peut véritablement encore aimer, alors c'est de Toi et de la Meute qu'il est épris Loup-Noir. »

Elle se laissa tomber sur ses genoux terre, glissant le long du corps de Cyrien, en larmes. Pour les instincts animaliers du Loup-Noir ou l'instinct féminin d'Esna, rien ne pouvait lasser douter de la sincérité de Sélène. Soit elle disait vrai de bout en bout, soit elle était une formidable comédienne. Elle termina dans un sanglot : « Je mets mon destin entre tes crocs Loup-Noir. »

[Sélène]

Les dernières paroles de Loup-Noir résonnèrent comme un poignard qui se plantait droit dans son coeur. Les gestes chaleureux des chiens n'y changeaient rien, elle ne pourrait jamais obtenir le coeur de Cyrien. Dans sa tête, un ouragan se déchainait, elle envisageait toutes les possibilités, mais aucune ne semblait pouvoir apporter une issue favorable pour son coeur déchiré.

Rompre le contrat qui la liait avec Glasya, quitte à perdre tous ses pouvoirs et son influence, pour fuir avec la Meute n'était pas imaginable. Une telle décision finirait sans doute par la tuer elle et le reste de la Meute. L'archiduchesse du sixième enfer n'était peut-être pas l'incarnation du mal absolu, elle pouvait tout de même être capricieuse dans un tel cas. Emeraldine venait encore de le lui rappeler.

A moins que … Un sourire en coin se dessina sur ses lèvres. Si elle pouvait offrir à Glasya quelque chose ayant suffisamment de valeur à ses yeux pour la libérer elle de ses engagements, elle pourrait revenir aux côtés de l'Alpha et devenir sa louve.

La jeune femme s'ébroua, inspirant profondément l'air de la forêt comme Loup-Noir venait de lui recommander. Elle sécha ses larmes dans la fourrure de Fenrir, le chien qui l'avait accompagné à Pierrelune, en frottant son visage contre lui.

Elle releva ensuite la tête et fixa l'oeil valide de Cyrien. La tempête sentimentale calmée, elle déclara pensant chaque terme : « Tes mots sont la raison, même si cette raison lacère mon coeur. En l'état, m'accepter comme louve alpha condamnerait à terme la Meute. Loup-Noir, je pense que le louveteau est mêlé malgré lui a une affaire des Neufs Enfers. Je resterai avec la Meute jusqu'à Rougemont pour tirer cette histoire au clair. Puis je retournerai à Padhiver, tout en restant à l'écoute de l'appel de la Meute au besoin. Je saurai faire en sorte d'utiliser ma magie sans perturber les sens des Loups ni manquer de respect aux Lois de la Forêt si cela devenait nécessaire. »

Elle se serra contre lui, lui mordillant doucement le lobe de l'oreille avant d'ajouter dans un murmure : « Sache qu'un jour, que j'espère le plus proche possible, je reviendrai par moi-même auprès de vous. Sache que ce jour, je n'aurai plus d'autre Alpha que toi Loup-Noir. Les regrets seront passés. Tu es Mien et je suis Tienne, car tu es mon Alpha et je suis ta Louve pour l'éternité. Sans la Meute, je ne serai plus rien. »

Sélène relâcha Loup-Noir et entreprit de rendre à Huan et Ulfr un peu de l'affection qu'ils venaient de lui manifester. C'est alors qu'un hululement se fit entendre. Skadi, la chouette éclaireuse apparut au clair de lune et voltigea au-dessus de leur tête, tentant d'indiquer la direction à suivre à Cyrien et le temps qui les séparait de leurs destinations. Il leur faudrait entre trois et quatre journées pour rejoindre Illidrin et l'Expert, sur le domaine maudit de Rougemont.

[L’Expert]

Au terme d’un voyage de quelques jours, la Meute atteint les environs de Rougemont et ne tarda pas à repérer le camp de fortune établi par Illidrin et l’Expert. La météo était repassée à une certaine clémence, mais le sol resté détrempé et difficilement praticable.

Le mage apprécia d’un regard curieux l’étrange troupe composée à première vue de chiens, d’elfes, d’un drow et d’une humaine approcher. Il s’adressa à Illidrin : « Des amis à toi Illidrin ou devons-nous rester sur nos gardes ? »


[Cérès Moonfire et Edmond Harpell]

A des lieues au nord, proche du village de Longueselle, la trame Féérunienne se déchira quelques instants. Un portail magique venait de s’ouvrir et deux femmes en sortirent l’air légèrement désorientées. Cérès attrapa instinctivement la main de Yorukoe, sans savoir si c’était pour empêcher sa compagne de tomber ou conserver son propre équilibre.

L’interstice planaire se referma quelques secondes après leur passage. L’elfe de lune constata qu’elles étaient au beau milieu de la campagne à quelques kilomètres au sud de Longueselle et lâcha une volée de jurons à l’égard du mage qui leur avait ouvert le portail depuis Padhiver : « Magnifique, ce crétin ne sait pas viser à travers l’espace interplanaire et on va devoir se taper une bonne heure de marche sous un soleil de plomb ! J’aurais dû me douter que son tarif ridiculement bas était le reflet de son incompétence ! »

Les jeunes femmes s’étaient mises en route depuis un bon quart d’heure lorsque Cérès émit un hoquet de surprise et sursauta. Un bel épervier venait d’atterrir sans gêne sur son épaule droite. Bien installé sur son perchoir elfique, ce dernier articula des mots en commun au lieu de pousser son cri usuel : « Alors, gamine, c’est l’âge qui te rend impolie ? Ouvrir un portail sur le territoire des Harpells sans avoir envoyé un carton d’annonce de visite au préalable ? Je devrai te transformer quelque temps en tulipe pour t’apprendre les bonnes manières tien. »

Le rapace parlant avança son cou pour mieux apercevoir Yorukoe qui se tenait à gauche de Cérès et ajouta sur un ton appréciateur : « Bon ... vu le beau lot que tu nous amènes, je vais faire une exception et passerais outre la punition ! »

Cérès leva les yeux au ciel et soupira. Edmond Harpell n’avait pas changé depuis tout ce temps. 

[Yorukoe]

Depuis son malaise à la suite de la traversée du portail, Yoru se répétait inlassablement que le soleil accablant était un excellent exercice pour sa magie. Elle laissa donc son givre courir sur sa robe blanche, à son aise, enfin comblée d’user de ses pouvoirs à sa guise sans perquisiteurs à capuches derrière elle. La main de Cérès dans la sienne, elle avança le cœur léger, écoutant vaguement les commentaires outrés de l’elfe de lune à ses côtés.

Étrangement, sa petite voix intérieure qui lui murmurait « Le Soleil c’est bon pour c’que t’as ! » avait les accents calishites moqueurs de sa mentor Ryanne. La vieille sorcière ne manquera pas de lui demander un rapport complet sur la Demeure du Lierre et les Harpells donc autant voir cette téléportation ratée comme une épreuve à passer dans son long apprentissage.

Son premier paragraphe pour Ryanne sera certainement consacré à l’épervier parlant. Ou à Cérès-la-tulipe. Yoru imagina sans peine son amie sous les traits d’une magnifique fleur aux teintes d’un bleu nuit envoutant, comme ses lèvres... Mais aux paroles du rapace, sa rêverie prit brusquement fin :

« Q-quoi ?? M-moi un beau lot ? »

Ne sachant si elle devait en être flattée – elle recevait les avances d’un oiseau tout de même -, gênée ou en colère, elle fixait dubitativement le volatile quand un détail la percuta soudainement.

« V-vous parlez... ? »

Yorukoe se sentit soudainement sotte de poser une question aussi évidente alors que Cérès ne semblait nullement plus étonnée que cela. Elle cacha au mieux sa gène mais le regain de givre sur sa tenue parla pour elle.