[HistoireRP] La panthère d'Eauprofonde

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AVERTISSEMENT : Certaines scènes décrites dans ce texte peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes.

Les événements décrits se déroulent au début de l'été dernier, après que Sélène ait quitté Rougemont. Pour une musique d'accompagnement à la lecture, vous pouvez toujours vous référer à la musique thématique de Sélène.

Sélène Redglow laissa glisser ses doigts sur la surface lisse. Elle appréciait le génie mécanique gnome allié à la finesse de l’artisanat nain qui avait donné naissance à la presse à imprimer qu’elle s'apprêtait à acquérir. Ses contacts à Eauprofonde lui avaient permis de trouver la machine auprès d’un bourgeois et collectionneur, Zamar Hepur, logé dans les splendeurs du Bord de Mer. Le petit homme ratatiné la regardait d’un oeil lubrique, s’étant déjà demandé à plusieurs reprises durant la négociation si la dame serait ouverte à payer autrement qu'en espèces sonnantes et trébuchantes. Les grognements réprobateurs d’Ulfr, le loup qui accompagnait la rousse depuis Rougemont, avaient rapidement calmé les ardeurs du vendeur.

« Marché conclu, monsieur Hepur, lui signifia-t-elle avec un sourire charmeur. J’ai dans ma sacoche un contrat vous autorisant un prélèvement à mon dépôt au temple de Waukeen. Il ne me reste qu’à y inscrire le montant convenu.
- Chère madame Lide, l’appela-t-il par le nom d’emprunt qu’elle lui avait donné, je vous propose un rafraîchissement dans mes jardins, avec une vue imprenable sur la Mer des Epées, vous y trouverez l’encrier pour compléter le parchemin. Votre chien ( Ulfr émit un grondement de gorge menaçant à ce mot provoquant un frisson dans l’échine du bourgeois ), pardon, votre loup pourra s’y dégourdir les pattes. Vous y découvrirez ma propre compagne, malheureusement loin d’être aussi bien dressée. »

La jeune femme réprima un sourire. Ulfr n’était pas dressé ni ne pouvait l'être. S’il décidait d’en faire qu’à sa tête, elle risquait de manquer d’autorité naturelle. Le groupe s’enfonça dans les coursives du manoir avant de débarquer sur une large surface de gazon parsemée de bosquets. Au centre s'élevait une fontaine de marbre ornée de dorures représentant les symboles de la Triade, les dieux Tyr, Torm et Illmater. A l’opposé de leur point d’arrivée, une tonnelle ombragée par des lierres permettait de s’installer autour d’une table surplombant l’océan comme Zamar l'avait promis.

Ulfr s’élança à toute vitesse dans les jardins, heureux de retrouver le règne de la nature au milieu de la ville dans laquelle il s’était installé avec Sélène depuis plusieurs jours. Le bourgeois et elle s’avancèrent en direction de la treille. Un miaulement craintif se fit entendre, rappelant à la sorcière la mention d’une « compagne » par le marchand. Redoutant le pire des instincts du loup, elle accéléra le pas pour trouver Ulfr subjuguant un félin couleur charbon, pourtant plus grand que lui. Le propriétaire rejoignit Sélène et commenta la scène : « Voyez ce que je veux dire, voici Mafset, une panthère noire du Calimshan incapable de remplir son rôle de gardienne de propriété. »

Il s’approcha du félidé et lui flanqua un léger coup de pied qui eut pour effet d’arracher un couinement de détresse à l’animal. « Aller ! Bouge-toi un peu sale bête. » Devant le geste de Zamar, ce ne fut pas Ulfr, mais Sélène qui gronda à la manière d’une louve avant de se reprendre et de s’approcher du fauve soumis pour constater des marques rappelant celles d’un fouet. La jeune femme répondit sur un ton teinté d’acide : « Je vois, effectivement, quel dommage, un si bel animal. » Se concentrant, la sorcière fit appel en toute discrétion à ses pouvoirs. Elle envoya un signal d’apaisement à la panthère et surtout à Ulfr qui profitait de son emprise sur elle.

Sur ces entrefaites, ils s’installèrent sous la tonnelle. Un domestique leur apporta l’encrier et deux verres d’un vin blanc coupé aux épices. Une demi-heure plus tard, l’affaire était bouclée et Sélène regardait ses porteurs; une bande de malabars dont elle avait loué les services auprès d’un agent local du Zhentarim, charger la presse démontée et le matériel de conception sur des chariots en partance pour Padhiver.

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Sélène s’enfila dans l’air saturé de la vapeur des bains thermaux vêtue d’un simple peignoir. Elle avait dû déployer des trésors de patience et un peu de magie mise au point durant le voyage entre Rougemont et Eauprofonde pour convaincre Ulfr de rester à monter la garde dans l’antichambre de l’hôtel privatisé. Affalée nue sur le rebord du bassin d'eau chaude, l’embout d’un narguilé entre les lèvres, l’Erinyes répondant au nom d’Emeraldine l’observa amusée.

« Je t’ai connue moins prude ma petite Sélène. C’est donc ça le résultat de tes amourettes avec le beau demi-elfe qui se prend pour un loup ? La fidélité ? Quel gâchis !
- Je constate que ta langue de vipère ne s’améliore pas avec l’âge Emeraldine. Ne t’inquiète pas, je ne serai pas longue et tu vas pouvoir vaquer à tes passionnantes occupations. »

Tout en s’installant sur le rebord de la piscine, elle désigna de la tête la silhouette masculine, qu’elle devinait au gré des mouvements de la vapeur. Le pauvre homme devait sans doute être tombé dans l’inconscience, lacéré de coup de griffes, voire marquée par d’autres ustensiles.

« Oui, répondit la diablesse sur un ton enfantin, mon jouet est un peu cassé. Enfin, je suppose que ta venue à Eauprofonde dénote un retour à une certaine forme de raison et de fidélité envers ta vraie maîtresse ?
- Fidélité qui n’a jamais été remise en cause, assura Sélène sur un ton ferme. Je te le répète, ton intervention dans les Bois de Padhiver n’était pas nécessaire. Les accusations d’Umartta à mon égard sont ridicules, je fais mon boulot.
- Le loup que tu as laissé à l’entrée tendrait à prouver le contraire. Mais vas-y Sélène, que me vaut l’honneur de ta visite ?
- Je souhaite que tu rapportes à Dame Glasya que Levistus pourrait bien être impliqué dans une affaire touchant Padhiver. L’enquête sur place a montré que la famille de Rougemont avait pactisé avec lui par le passé. Cette fameuse Tempérance devait être une diablesse à son service et pas des moindres si elle a pu prendre une apparence humaine au nez et à la barbe des Cagoulés. Si d’autres archidiables s’activent sur Padhiver, il vaut mieux qu’Umartta et moi soyons averties, sinon nous ne pourrons effectivement pas faire notre boulot correctement.
- Ce serait assurément gênant, admit Emeraldine pensive. Je transmettrai... »

La silhouette émit un grognement. D’un geste vif, l’Erinye se saisit d’un long fouet qui alla s’entourer autour du cou de l’homme. Elle tira d’un coup sec détachant la tête du reste du corps dans une sonorité macabre. Sélène retira ses pieds de l’eau, qui se teintait lentement de rouge, avec une mine de dégoût.

« Je déteste qu’on m’interrompe, expliqua Emeraldine sur un ton dénué de toute émotion. Je transmettrai donc tes informations à qui de droit. Soit tout de même prudente Sélène, la colère de Glasya sera d’autant plus forte que tu es une de ses favorites en cas d’idiotie de ta part.
- Il n’y aura pas d’idiotie. La mission continue et ma présence à Eauprofonde y est liée. Lorsqu’elle sera remplie de succès, je pourrai me retirer des affaires et vivre avec mon loup.
- Te retirer des affaires et vivre avec ton loup ! s’exclama la diablesse dans un rire aigu. Quelle bonne blague jeune fille. Quand bien même tu arriverais à négocier ta retraite avec Glasya, tu oublies que le Zhentarim ne laissera jamais partir un de ses ardragons si facilement. »

La sorcière se releva, une mine vexée accrochée au visage. « Chaque chose et chaque personne a un prix pour le Zhentarim. C’est aussi mon cas. Bonne fin de journée Emeraldine. Fais attention à tes bains, ils sentent la mort à plein nez. » Sans attendre de réponse, Sélène tourna les talons et sortit en claquant la porte.

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De longues trainées de coton voilaient périodiquement la lune ce soir-là. Dans un angle de rue à l'éclairage défaillant, Sélène et Ulfr observaient avec attention la bâtisse qu'ils avaient quittée dans l'après-midi. Toute source de lumière provenant de la demeure de Zamar Hepur s'était éteinte depuis une bonne demi-heure maintenant. La jeune femme laissa son regard planer sur le portique d'entrée. Deux personnages à la mine patibulaire montaient la garde, l'air à moitié endormi.

La sorcière avait mené une observation complète du rythme des patrouilles de milice locale. Selon ses calculs, la prochaine ne passerait pas avant une bonne heure, ce qui leur laissait amplement de temps. Les deux compagnons de meutes s’engagèrent sur les pavés et approchèrent le portail. Ils se firent immédiatement héler par un des gardes.

« Qui va là ?! aboya-t-il.
- Une jeune fille frigorifiée et son chien, pleurnicha Sélène. Je cherche un peu de chaleur en cette nuit glaciale. »

Elle se trouvait maintenant à hauteur des vigies. Leurs yeux étincelèrent alors qu’ils découvraient les formes de leur interlocutrice mises en valeur par un pantalon et un bustier de cuir noir. Le châle ocre en tissu fin qui recouvrait ses épaules paraissait bien léger face à la fraîcheur d’une nuit dans le nord, malgré la saison chaude. Ils échangèrent tous les deux un regard et un sourire qui en disait long et le second malabar repris.

« On a pas trop l’air comme ça, mais on est bien élevé ! ricana-t-il. On ne laissera jamais une dame en détresse seule dans la nuit. Mon ami et moi sommes l'incarnation de la chaleur, quel est ton prix ma jolie ? » Sélène sourit en son for intérieur, conservant son expression d'enjoliveuse. Elle leur donna un tarif conséquent, mais tout à fait à leur portée pour les appâter.

Alors qu'elle venait se blottir langoureusement dans les bras de son interlocuteur, le second fit jouer les mécanismes du portail dans un bruit métallique. Ulfr en profita immédiatement pour se faufiler à l'intérieur de la cour. Le malabar maugréa quelques invectives, mais ne tenta aucune poursuite, bien plus intéressé par la prostituée aux cheveux flammes.

Ils s’introduisirent à leur tour dans les jardins cherchant un coin confortable et suffisamment éloigné de la route pour ne pas être entendu. Leur choix s’arrêta derrière un réduit en bois dans lequel le jardinier du domaine entreposait ses outils. Rapidement, Sélène fut entourée et serrée par les deux hommes. L’un devant, l’autre dans son dos, ils cherchaient les fermoirs qui leur permettrait d’effeuiller la belle. Leurs caresses se faisaient insistantes. La jeune femme ferma les yeux, soupirant, prise du désir d’aller jusqu’au bout avec ces deux inconnus.

Puis l’image du Loup-Noir se forma dans son esprit et un petit sourire mauvais se dessina sur ses lèvres. Ses doigts, affairés entre les jambes du garde lui faisant face, se prolongèrent de longues et mortelles griffes ténébreuses. « Mes respects à Glasya ! » murmura-t-elle avant de faire remonter sa main d’un coup sec, tranchant la chair de l’homme sur toute la longueur du torse. Ce dernier ressentit une douleur intense, mais ne pouvait crier, comme tétanisé par un poison diabolique. Il souffrit d’une lente agonie, se vidant de son sang et d’une partie de ses organes découpés à vif.

Son collègue se détacha brusquement de son échine. Surpris et choqué par la scène illuminée du regard changeant de la lune, il restait indécis, ne sachant que faire. Il ne sût jamais. Les puissantes mâchoires d’Ulfr se refermèrent sur son cou, tranchant la carotide et étouffant son cri dans son sang.

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Le duo contourna la large bâtisse sans rencontrer la moindre opposition. Zamar devait certainement payer d’autres hommes de main, qui devaient se trouver à l’intérieur, préservant la maison des voleurs qui seraient passés outre le portail. Ulfr la conduisit au chenil, une alcôve excavée sous les jardins visités l’après-midi même. Des grilles et des cages enfermaient plusieurs animaux domestiques et exotiques. Des aboiements et des cris résonnèrent à leur approche.

Tout en cherchant la panthère, Sélène tenta de calmer les bêtes. Elle trouva Mafset avachie au fond d’une prison aussi mal entretenue que les autres. La jeune femme entreprit de libérer l’animal lorsque la voix de Zamar Hepur retentit dans son dos. « Mais que se passe-t-il ici ? aboya-t-il avec étonnement. Madame Lide ? Vous comptiez me dépouiller de mes animaux de compagnie ? » Le propriétaire était flanqué de trois hommes qui avaient tiré leur épées du fourreau. Ulfr grognait, n’attendant qu’un geste de Sélène pour sauter au cou d’un de leurs adversaires.

La sorcière se permit un sourire.
« Tu aurais mieux fait de rester endormi Zamar. Je ne souhaitai pas verser plus de sang que nécessaire cette nuit.
- Assez ! Arrêtez-là, s’égosilla son interlocuteur. »

Les hommes d’armes s’avancèrent en direction de Sélène. Ulfr se positionna en opposition, menaçant et laissant le loisir à sa soeur de meute de proférer une incantation et d’agiter les doigts. Elle fit claquer ces derniers et une série de bruits métalliques se propagea dans la cavité. Les portes des cages pivotèrent lentement en grinçant. Les gardes s’arrêtèrent net, bien moins sûres de la suite des opérations. Les animaux étaient libres, pour la plupart des fauves mal traités depuis des années. Ulfr s'élança, un grondement sourd au fond de la gorge, et les bêtes le suivirent comme un seul homme. Elles jaillirent sur les spadassins bien impuissants à se défendre avec leurs lames.

Zamar, en sueur devant la scène d’horreur sauvage à laquelle il assistait trouva en lui la force de se retourner et de courir aussi vite qu’il le pouvait. Sélène, qui avait retenu Masfet tout du long, posa un genou à terre et frotta sa joue contre celle de la panthère. « Celui-ci est juste pour toi ma belle, lui murmura-t-elle à l’oreille. » Le félin bondit en avant. Il lui fallut moins d’une minute pour rattraper son ancien tortionnaire.