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[Personnage] Ekalayel Gris-Lune

silivren7
silivren7 Member Messages: 64 Utilisateur Arc
Ekalayel Gris-Lune


Race : Elfe des bois
métissé elfe de lune
Age : 43 ans
Origine : Val Gris
Alignement : Neutre Bon.

Histoire

Né en 1441 dans un coin reculé d'une forêt du Val Gris, au sein d'un Clan d'elfes des bois retranchés sur lui-même et repoussant violemment les étrangers. Le Clan est régi par de puissantes dynasties familiales dont les héritiers sont en lutte perpétuelle : le meilleur chasseur dirige la Chasse et donc le Clan. Le père d'Ekalayel, Darhan, était un chasseur hors-pair et fils du chef actuel, Tianodel, était présumé pour en être l'héritier. Mais Darhan quitta le Clan pour vivre avec une mage elfe de lune, Iteya, étrangère sauvée de la mort par le Clan et dont il était tombé follement amoureux. Tianodel ne supporta pas la trahison de son fils et lorsque le couple revint avec un fils qu'ils lui laissèrent, il reporta sa haine sur l'enfant.

Les premières années d'Ekalayel ne furent de fait pas celles d'une douce enfance. Il grandit sous la férule dure et impitoyable du vieux chef qui ne lui pardonnait aucune erreur. La timidité et le côté craintif du petit elfe s'accentuèrent à cause de ce traitement. Il rêvait de recevoir l'approbation de son grand-père, au moins une fois. Il crut réussir à l'obtenir lorsqu'il s'avéra extrêmement doué au tir à l'arc et à l'art du pistage. Tianodel vit alors en lui une substitution à la défection de Darhan et l'entraîna durement, mais en reconnaissant ses avancées. Malgré la dureté de l'apprentissage, Ekalayel s'épanouit pendant cette courte période. Car lors de la Grande Chasse à laquelle il participait pour la première fois malgré son jeune âge, il fut incapable de tuer le dix cors pisté par le Clan et le laissa s'enfuir devant tous. Son grand-père leva la main sur lui et lui retira sa protection, rejetant leur lien de sang. Devenu paria au sein de son propre Clan, il fut jeté en pâture à la jalousie cruelle des héritiers des autres grandes familles qui briguaient le titre de chef. Ekalayel fut battu, humilité et rabaissé sans que personne ne lève le petit doigt pour l'aider. Ses tortionnaires lui rentèrent dans le crâne qu'il était inutile, bon à rien et faible. Le jeune elfe se réfugia dans sa foi en Séluné, même s'il ne pensait pas mériter son aide. Il pria plutôt pour que la haine ne prenne pas son cœur. Etrangement, il traversa cette période sans perdre ni sa gentillesse ni son empathie naturelles.
Lors de sa 42e année, ses parents revinrent dans le Val Gris. Ils furent horrifiés des traitements que leur fils avait subi et quittèrent pour de bon le Clan en l'emmenant avec eux. Darhan manqua même de tuer son père sous sa colère. Tianodel les décréta alors proscrits du Clan. Ekalayel passa avec ses parents les trois meilleurs jours de son existence. Mais leur passé les rattrapa lors de la nuit du troisième jour : ils avaient arrêté un raid d'homme-lézards du Marais de Chelimbre et détruits par mégarde l'idole de leur déesse, déclenchant une véritable chasse à l'homme à leur égard. Ils moururent en protégeant la fuite de leur fils.

Ekalayel se réveilla près de Padhiver, juché sur le dos d'un énorme étalon noir, Comète, et avec une jument blanche, Lunhoux. Son esprit était totalement bloqué par cet évènement traumatisant dont il ne se souvient que d'ombres et de sang. Des flashs de son passé ont mené à de terribles cauchemars et il y a fait face en compagnie de la prêtresse Aendis, débloquant une partie de ses souvenirs, mais rien ne concernant ses parents. Il est convaincu d'aller au Val Gris confronter son grand-père et peut-être obtenir des réponses.
Apparence

Plutôt grand et très mince, Ekalayel apparaît surtout filiforme, voire famélique. Ses muscles sont tout de même formés par une pratique intensive du tir à l'arc, de la monte à cheval et de la course en forêt. Ses cheveux grisés, bien que plus clairs qu'à l'habitude, sont caractéristiques de son Clan. Il a des yeux très clairs. Son corps porte les stigmates de quelques mauvais traitements. Sa peau très pâle témoigne d'un héritage de vie passée sous le sous-bois. Il supporte mal le soleil et ne bronze guère. Ses yeux, assez grands, attirent l'attention : on y lit ses états d'âme, il ne sait rien cacher. Portant constamment une écharpe rouge, il y rentre la tête quand il est intimidé.
Caractère

Extrêmement timide, Ekalayel ne hausse jamais la voix et acquiesce facilement, surtout si son interlocuteur lui met la pression, sauf lorsqu'il s'agit de défendre ses valeurs principales : ne pas tuer et ne pas manger du vivant. Il semble de fait très soumis aux autres car il a une confiance en lui très bancale et a tendance à se rabaisser lui-même, notamment sur les questions de force et de courage. Il prend facilement peur des inconnus et des personnages impressionnants. Il a toutefois des élans de courage induits par son désir d'aider les personnes chéries. Sa curiosité peut aussi être un autre moteur pour aller vers les autres. Doué d'une très forte empathie, il lui répugne de faire le moindre mal, même lorsqu'il s'agit de se défendre. Formidable pisteur, il refuse néanmoins de chasser et utilisent des flèches induites de poisons non mortels lorsqu'il doit combattre. Habitué à la vie en forêt, la ville lui paraît étrange et dangereuse. Il n'y reste pas souvent, habitant dans une cabane construite par ses soins dans les Bois de Padhiver. Le pistage est bien le seul exercice où il apparaît sûr de lui. Arrivé amnésique à Padhiver, il a récupéré ses souvenirs depuis peu, ce qui l'a fait mûrir tout en le fragilisant quelque peu. Il lui faudra encore du temps pour complètement se soigner. Certains évènements, certaines paroles, certains sons déclenchent encore des crises d'angoisse incontrôlables. Il est en outre terrifiait par tout ce qui a des écailles, notamment les dragons et les drakéides, et a une peur terrible d'être mangé.

Relations : Il est très proche de la prêtresse Aendis et d'Isaelle. Son grand-père est la seule famille hormis ses parents. Le premier l'a rejeté. Ils considèrent comme ses amis ses chevaux, Comète et Lunhoux, et son petit faon blanc, Loptr.

Particularités :
- Pistage : Il est extrêmement doué à cet art et peut facilement retrouver des objets ou des personnes.
- Forte empathie : Il est incapable de blesser des personnes et part en crises d'angoisse très facilement.

Réponses

  • sgkaltezar
    sgkaltezar Member Messages: 166 Utilisateur Arc
    Mes moustaches de chat-MJ frétillent et se réjouissent d'une si belle et complète fiche de personnage que tu nous livres ici @silivren7 :)

    Je n'ai pas lu les spoilers vu que 2 de mes personnages sont impliqués dans l'aide à Ekalayel :)
    Maître du donjon de la communauté rôliste

    Me contacter:

    e-mail : jeremy.berthet@logx.ch / twitter : @kaltezar / skype : grapeshire

    Personnages:

    Aendis Silverspear, Grande Prêtresse Initiée de Séluné
    Zaphira Nightdawn, Guerrière de Myth Drannor
    Cérès Moonfire, Mage de Padhiver
    Isaelle, Novice de Corellon de Sharandar
    Harold Faithfire, Chevalier errant d'Amn
  • silivren7
    silivren7 Member Messages: 64 Utilisateur Arc
    Les voix du passé

    Ekalayel se tournait et se retournait sur son matelas de plumes. Le jeune elfe avait pourtant passé des heures à le rembourrer à sa convenance. Ce n'était pas sa couche qui était en cause dans ses insomnies. Il passa une main tremblante sur son visage émacié par la fatigue, retenant péniblement les sanglots qui menaçaient de secouer sa frêle silhouette.

    Il arrivait au bout de ses forces. Tant qu'il était à Padhiver, ou avec Isaelle, il souriait et cachait sa douleur. Le manque de repos commençait pourtant à lui donner un tournis constant. Ses yeux le lançaient, chaque pas était une torture et son esprit dérivait de plus en plus, cherchant le réconfort des rêves.

    Un réconfort qui n'existait plus. Les lèvres du jeune elfe se pincèrent sous la frustration. Le problème était justement là. Dès qu'il fermait les yeux et essayer de dériver vers les songes, les voix du passé se faisaient bien trop fortes et l'empêchaient de se reposer. Il se réveillait toujours en sursaut, la respiration pantelante et le corps agité de tremblements.

    Parce que tu es inutile et faible, persifla l'une des voix du passé. Il arrivait à les reconnaître maintenant. Celle-ci appartenait à l'un de ses plus constants tourmenteurs. Elle était jeune et grave, certainement capable d'un grand charisme, mais ne lui soutirant qu'une vague de nausée. Qui que soit son propriétaire, il le terrifiait. Autant que le drakéide vert qui avait déclaré vouloir le manger.

    Ah ! N'oublions pas la lâcheté.

    - Tais-toi, gémit pitoyablement Ekalayel en se redressant. Même son beau matelas de plumes, confectionné avec tout son amour, lui tordait les boyaux. Il hésitait à descendre rejoindre Comète et Lunhoux. Sa solitude le pesait. Il avait même préféré laisser Loptr avec les deux chevaux. Ses cris affolaient le petit faon et il ne voulait risquer qu'il tombe de sa cabane perchée dans un arbre.

    Tu vas donc encore déranger ? Reste à ta place, gamin.

    Il grimaça. Cette voix-ci était plus terrible encore que la jeune. Vieille, forte et charismatique, il ressentait à chaque fois un élan d'espoir en l'entendant. Comme s'il espérait, encore et contre toute attente, obtenir un mot gentil de sa part. Cette personne lui était importante. Chère, il ne saurait le dire sans éprouver la sensation du mensonge. Pour cette voix-là, il pouvait mettre un visage.

    Un visage qui lui ressemblait étrangement, dans une version nettement plus vieille, dure et sévère. Il s'était longuement détaillé dans un miroir pour comparer ses souvenirs flous avec son reflet. Et il y avait ce gamin dont il le gratifiait… sans aucune affection, cela dit. Le mot sonnait comme une insulte.

    Tu n'es rien d'autre qu'un poids. Ne reste pas dans mes jambes.

    - Je suis désolé, murmura Ekalayel par habitude avant qu'un rire nerveux ne lui échappe d'entre ses lèvres qu'il serrait pourtant avec force. Il ne tarda pas à se transformer en les sanglots qu'il tentait de retenir. Vainement, encore une fois.

    Il se demandait parfois s'il ne virait pas fou. Ce ne devait pas être normal d'entendre des voix dans sa tête. Pas quand elles n'étaient pas la sienne. Ces voix avaient toutefois un accent de souvenir, de vérité, comme si son esprit se battait pour remonter à la surface ces souvenirs enterrés au plus profond de sa mémoire, et scellés par une terreur qui le saisissait dès qu'il essayait de s'en souvenir, ou dès que le souvenir remontait de lui-même suite à quelques mots clés.

    Il avait donc ses voix du passé qui emplissaient de plus en plus sa vie. Il hésitait même à quitter les Bois de Padhiver pour ne plus être un poids pour personne. Ni pour Isaelle, qu'il ne voulait pas inquiéter plus longtemps, ni même pour la Grande Prêtresse Aendis.

    Sage décision, apprécia la voix vieille. Dans le même temps, il entendit nettement le persiflage de la voix jeune.

    Tu ferais bien mieux de disparaître. Tu gênes tout le monde.

    - C'est faux. Elles ont dit que je ne dérangeais pas. Isaelle a même dit qu'elle me taperait si je continuais de penser comme ça.

    Il ferma aussitôt les yeux alors qu'un violent souvenir le frappait de plein fouet. Il crut ressentir le poing s'abattre sur sa tempe et se mordit la langue sous la peur. La pièce sembla lui tourner. Ses sanglots menaçaient de l'étouffer tant il ne parvenait plus à respirer correctement. Il crut entendre, étouffés, les hennissements de Comète et le barrissement inquiet de Loptr. Mais ses propres cris, ses suppliques, couvraient son ouïe. Le goût métallique du sang emplissait sa bouche, le paniquant encore plus. Il détestait ce goût. Ses sanglots n'en redoublèrent que davantage, sous les rires des voix jeunes.

    Il reprit conscience quelques minutes - … ou heures ? - après. Son corps fatigué était désormais fourbu de courbatures, comme s'il avait chevauché Comète lors d'une de ses courses folles. Ces crises devenaient de plus en plus courantes. Il sentait son passé se presser contre la barrière qui le retenait. Il allait finir par le submerger.

    Soupirant, Ekalayel se traîna jusqu'à sa cuvette remplie d'eau pour se nettoyer le visage des larmes et du sang. Il se rinça plusieurs fois la bouche, espérant se débarrasser du goût acre. Puis il posa un regard las sur son lit. Le matelas de plumes se balançait doucement. Il avait dû accrocher le hamac en essayant de se retenir à quelque chose lorsqu'il était tombé.

    Les discussions qu'ils avaient eu avec Isaelle et Aendis lui remontaient en mémoire. Egalement les quelques mots qu'il avait échangé avec Moon. Il avait le choix entre enterrer définitivement son passé ou l'affronter. Il avait récemment choisi la seconde option mais la peur lui faisait désormais hésiter. Comme toujours…

    Inutile, faible et lâche.

    Les voix répétaient ces trois mots en boucle. Il en avait été intimidèrent convaincu auparavant. Sa conviction s'étiolait. Plusieurs personnes lui avaient assuré que ce n'était pas le cas. Il voulait tant les croire elles et non ces voix du passé.

    - Je ne suis pas inutile, asséna-t-il fortement. J'ai aidé à avoir des nouvelles de la Grande Prêtresse Aendis.

    En tombant dans les pommes.

    Il serra son torse mince avec ses bras, pinçant les lèvres. Les rires des voix du passé l'hérissèrent. Il sentait ses yeux s'embuer à nouveau de larmes mais une rage commençait à enfler dans son cœur. Il en avait assez de subir leur harcèlement.

    - Vous allez voir que je suis ni faible ni lâche. Je vais vous affronter. Vous et mon Passé. Tout.

    Ekalayel se laissa tomber sur son lit, à peine conscient que son violent mouvement agitait le hamac dans tous les sens. Il ferma courageusement les yeux et se laissa glisser vers un état plus ensommeillé. Les voix du passé ne tardèrent pas à se faire plus tangible. Il distinguait dans ses rêves les silhouettes menaçantes de ses harceleurs.

    Les larmes qu'il retenait coulèrent le long de ses joues alors qu'il retombait dans ses cauchemars.
  • silivren7
    silivren7 Member Messages: 64 Utilisateur Arc
    Modifié (octobre 2016)
    Il marchait sans but dans un paysage blanc. Il n'y avait rien à des lieux à la ronde, aussi loin que son regard pouvait porter. Il ne savait même pas pourquoi il continuait de marcher. Pas plus d'où il venait. Encore moins où il allait.

    Il savait juste qu'il était seul. Affreusement seul. La familière douleur lui tordit le cœur et les sanglots silencieux ne tardèrent pas à tempêter sans tonnerre. Le silence était si pesant ici.

    - Encore à pleurer, perdrix décolorée ? ricana une voix dans son dos. Il reconnut la voix jeune, celle qui n'arrêtait pas de persifler à son sujet. Tremblant, il voulut faire quelques pas pour s'éloigner mais se retrouva incapable de bouger le moindre petit doigt. Sa respiration eut un accroc. Des silhouettes menaçantes se détachèrent autour de lui, sombres parmi le paysage blanc, et leurs ricanements mauvais lui emplirent les oreilles.

    Il aurait préféré se retrouver une nouvelle fois devant le drakéide plutôt que les affronter eux.

    Ils l'entourèrent bientôt, bafouant son espace personnel, et il se recroquevilla sur lui-même, enserrant ses genoux et cachant sa tête entre ses bras, presqu'indifférent aux coups qu'il recevait. C'était leurs mots qui lui faisaient mal. Une litanie qu'il connaissait par cœur.

    - Tu es inutile. Disparais ! Personne ne veut de toi. Tu n'es qu'un poids pour le Clan.
    -
    Il acquiesça faiblement, la poitrine douloureuse de sanglots. Son visage baigné de larmes se tordait sous la souffrance. Ils n'en firent que rire davantage.

    - Alors qu'attends-tu ? demanda méchamment la voix jeune, leur chef. Dégage !

    - Il n'en aura pas la force, décréta la voix vieille. Il redressa aussitôt la tête pour le dévisager avec espoir. Le visage sévère était détaillé, au contraire des silhouettes noires de ses tourmenteurs. Le vieil elfe le fixait avec un éclat dur dans les yeux.

    - Aidez moi.

    Son souffle rauque lui parut faible à ses propres oreilles. Le vieil elfe renifla, méprisant, et les voix jeunes s'esclaffèrent violemment autour de lui, agressant son ouïe. Ses yeux s'écarquillèrent sous son affolement en voyant le vieil elfe faire lentement demi-tour. Un cri déchirant s'échappa de sa gorge nouée :

    - Grand-père, aidez moi ! Je vous en supplie ! Je serai sage, je vous écouterai… je… je chasserai même, si vous le voulez tant… Grand-père !

    Le vieil elfe s'éloignait de plus en plus. Il leva désespérément la main vers lui, en une vaine tentative pour le retenir.

    - Même mon imbécile de fils a eu le courage de partir. Sa bêtise a connu son sommet en ramenant sa progéniture inutile au Clan. Quel crétin.

    La main qu'il tendait vers la forme de moins en moins tangible du vieil elfe se figea et retomba mollement le long de son corps agité de frissons.

    - Tu entends ça, perdrix décolorée ? Même ton père ne voulait pas de toi.

    Les rires lui glacèrent le sang. Que leur avait-il fait pour qu'ils trouvent ses malheurs amusants ?

    - Disparais, lui chuchotèrent-ils en tournant autour de lui, de plus en plus vite, leurs voix se faisant de plus en plus fortes. Il grimaça à s'en faire grincer les dents et porta des mains impuissantes à ses oreilles. La litanie résonnait dans son esprit.
    Il se recroquevilla encore plus sur lui-même. Il voulait échapper à leurs voix.

    Si disparaître pouvait l'en libérer…

    Je vais t'en coller une !

    La voix, outrée, d'Isaelle lui fit rouvrir les yeux. Mais la jeune elfe n'était nulle part en vue. Il entendait juste un écho de ce qu'elle lui avait déjà dit. Les silhouettes sombres s'étaient figées, grondantes, mais semble-t-il inquiètes.

    Il se redressa et trouva la force de bouger pour s'enfuir vers l'éveil.

    Ekalayel se redressa en criant faiblement. Sa tête tambourinait un rythme effréné. Il gémit en portant ses doigts à ses tempes. A travers le cordage de feuilles qui lui faisait office de toit, les rayons de l'aube perçaient doucement, le réchauffant. Il avait donc réussi à passer la nuit.

    Se rappelant la fin de son cauchemar, il sourit doucement.

    - J'aimerais éviter, Isaelle.

    Se penchant contre son hamac, il riva ses yeux sur les entrelacs de verdure qu'il avait composé avec son cordage de feuilles.

    - Mais je n'y arriverai pas seul.

    Sa décision était intimement prise. Il irait retrouver la Grande Prêtresse Aendis pour lui signifier qu'il n'hésiterait pas plus longtemps.

    Il allait se battre contre les voix du passé. Et, il espérait, en triompher.
  • silivren7
    silivren7 Member Messages: 64 Utilisateur Arc
    Les ombres et le sang du passé

    Ekalayel relâcha le souffle qu'il retenait. Une buée blanche voltigea vers la crinière de Lunhoux et la jument tressaillit sous lui. Dans le lointain, Comète hennit une réponse, quelque part dans la brume épaisse. A quelques pas de la haquenée immobilisée, Loptr broutait, son pelage ivoirin se perdant parmi les veloutés de brume.

    Malgré la présence de ses amis à quatre pattes, le jeune elfe ne s'était jamais senti aussi seul… du moins depuis son réveil près de Padhiver, l'esprit vide de tout souvenir. La Grande Prêtresse Aendis et Isaelle avaient peu à peu comblé ce vide étouffant en lui permettant de se forger de nouveaux souvenirs. Et que Sélune soit louée, ces souvenirs là étaient doux et agréables, parfois même drôles. Il avait commencé à se sentir bien… à nouveau, ou peut-être pour la première fois seulement. Mais aussi vide que soit son esprit quant à son histoire, on n'échappait pas facilement à son passé.

    La mémoire qui était revenue le hanter était emplie de douleurs et d'ombres, et elle avait lentement pris l'ascendant sur son présent. A l'orée de la forêt plongée dans la grisaille, Ekalayel avait perdu tout courage. Il lui en restait encore quelques miettes lorsqu'il avait quitté dame Harfang et messire Swen pour s'aventurer sur les terres de son Clan. Mais ces restes disparates avaient fini par voler en éclats devant l'imminence de la confrontation avec ce Clan qu'il n'arrivait décidément pas à appeler « les siens ».

    La route avait déjà brisé sa résolution, nuit après nuit, au cours d'une longue guerre d'usure qui le laissait épuisé. Les flashs d'ombres et de sang l'avaient frappé avec force durant chaque moment de sommeil et, pour ne pas déranger ses guides, il avait étouffé ses cris et ses sanglots dans le poil épais de Comète ou la robe douce de Lunhoux, se serrant en boule contre la chaleur de Loptr. Il avait vaillamment résisté jusqu'à ce que des écailles viennent virevolter dans ses cauchemars. Sa terreur avait connu son paroxysme et lui avait donné le coup de grâce.

    Quoique brisé par ses cauchemars, il n'avait osé demander à dame Harfang de faire demi-tour vers Padhiver, pas après qu'elle se soit dérangée pour le guider jusqu'au Val Gris. Il avait donc continué, la mort dans l'âme et la peur dans les os, ne cessant de frissonner sur sa selle. Et il se tenait désormais à l'orée de chez lui.

    Chez lui… C'était là des mots au goût étrange. Ou plutôt, chez lui, ce n'était pas le Val Gris mais sa cabane dans l'arbre au fond des Bois de Padhiver, avec la Grande Prêtresse Aendis et Isaelle. Le Val Gris n'était que l'endroit où il était né. Et que la Déesse-Lune soutienne son courage vacillant, il détestait ces terres. Elles lui paraissaient tellement inhospitalières !

    Une brindille craqua soudainement dans le silence pesant qui régnait autour de lui et il bondit sur sa selle, un cri aigu lui griffant la gorge. Loin de s'affoler, Lunhoux gazouilla joyeusement un salut vers Comète qui revenait tranquillement vers eux, et il se maudit pour sa faiblesse.

    Il avait fait tout ce chemin, que cela ne soit donc pas en vain. Il devait se secouer.
    Un délicat coup des talons et Lunhoux s'avançait sous les cimes resserrées. Les futaies sombres lui devinrent de moins en moins inconnues et il trouva rapidement son chemin sans même y songer pour arriver à une rivière à l'eau claire serpentant entre les arbres. Sur l'autre rive se dressait une petite colline parée d'une cascade cristalline.

    L'écho d'un rire tinta dans son esprit. Il se souvenait… Il jouait ici autrefois quand il arrivait à échapper à son grand-père et à éviter les patrouilles qui gardaient les frontières des terres du Clan. Mais une fois son manège découvert, les patrouilleurs l'avaient chassé à coups de gifles et renforcé leur veille à cet endroit, lui volant son terrain de jeu et l'apaisement qu'il lui procurait.

    Il ne fut donc pas surpris d'entendre plusieurs arcs se tendre dans le sous-bois d'en face. Loptr glapit de peur et fusa se cacher entre les jambes de Lunhoux, figée dans l'attente, tandis que Comète piaffait de défi, commençant à s'agiter dans l'air de combat. Il le calma d'une petite voix et empoigna son arc, gardant cependant son bras collé au flanc. Il ne tirerait que pour écarter une flèche, et jamais pour attaquer.

    - Je… je suis… Ekalayel… du Clan… Gris-Lune…

    Sa voix balbutiante lui parut faible à ses propres oreilles. Il n'allait pas faire bonne impression aux elfes du Clan en commençant ainsi.

    Il n'avait de toute façon jamais réussi à obtenir grâce à leurs yeux. Pourquoi s'attendait-il encore à ce que ce soit le cas ?

    Les murmures qui lui parvenaient indistinctement se stoppèrent et une voix s'éleva du feuillage touffu d'un arbre.

    - La perdrix décolorée, vraiment ?

    Elle ne lui était pas inconnue. Malgré l'étonnement sincère qu'elle transpirait, le cœur d'Ekalayel s'affola de terreur en reconnaissant son ancien tourmenteur. « Rappelle-toi le Rêve ! » s'ordonna-t-il pour s'éviter de tourner aussitôt bride. Il avait vaincu sa peur vis-à-vis de cet elfe. Il pouvait lui faire face. Il était venu pour ça.
    Du moins essayait-il de s'en convaincre quand l'autre elfe descendit de son arbre d'un mouvement leste, presque prédateur, pour sauter d'un bond preste la rivière et s'approcher rapidement de lui.

    - Mais oui, Ekalayel !

    Il ne sut ce qui le surprit le plus : le fait qu'il l'appelle par son nom ou le sourire heureux, ou plutôt rassuré, qui ornait ses lèvres à sa vue.

    - Euh… oui, c'est moi… Bonjour… euh…

    « Siarel », lui souffla sa mémoire oubliée.

    - Ah… Sia… rel..

    L'elfe secoua la tête, gardant son sourire, et eut même un petit rire amusé, pourtant dénué de toute moquerie.

    - Tu n'as pas changé. Mais surtout, tu es en vie ! Grâce soit rendue à Sélune. Après qu'on ait retrouvé les restes de Darhan et d'Iteya, tout le monde avait conclu que tu avais aussi trépassé, même si nous n'avons trouvé aucun corps.

    Même s'il continua de parler, Ekalayel ne l'entendait plus. Il n'était plus en mesure de le faire. Devenu livide, il ne se sentait même plus tanguer sur sa selle, ne retenant qu'une seule chose au discours de Siarel.

    - Ils sont… morts ?

    Sa voix étranglée lui fit mal tant sa gorge était encombrée par la panique. Il s'affola encore plus alors qu'il n'arrivait plus à respirer, n'arrangeant en rien sa soudaine difficulté respiratoire. Sa vision s'obscurcit rapidement et, malgré les appels de Siarel, il sombra sans combattre dans les bras de l'inconscience, les accueillant presque avec joie pour échapper à la dureté de la réalité. Ils étaient si chauds, ces bras, si réels…

    A moins qu'il n'ait été encore conscient quand ces bras lui évitèrent une chute sur les cailloux de la rive.
  • silivren7
    silivren7 Member Messages: 64 Utilisateur Arc
    Il n'en finissait de babiller sur le mode de vie des cerfs, après avoir longuement traité celui des sangliers, et la magnifique elfe de lune hochait la tête en souriant doucement. Elle lui posait même des questions, s'excusant à chaque fois de l'interrompre. Il lui répondit avec un sourire qui aurait pu rivaliser avec l'éclat des étoiles. Car plus que l'écouter, elle était vraiment intéressée par ce qu'il racontait.

    Elle, sa mère. Le mot roulait sous sa langue et dansait dans son esprit, empreint d'une félicité qu'il n'avait jamais connu jusqu'alors. Ses parents n'avaient pas voulu l'abandonner. Ils étaient itinérants et avaient pensé qu'aux vues des dangers de la route, il serait plus en sécurité et heureux au sein du Clan. Ils n'auraient jamais songé qu'il y vivrait un enfer.

    Il n'était plus seul désormais, ni marginal, et c'était tout ce qui lui importait.

    - Et, mon trésor, lui demanda la voix cristalline de sa mère, comment vivent les loups ?

    Il se figea, apeuré, et marmonna en hésitant :

    - J'ai… peur des loups… maman…

    Il avait peur qu'elle s'énerve et lui hurle qu'il était un lâche et qu'il devrait disparaître. Qu'on le rejette, encore une fois, pour sa faiblesse.

    Mais elle le prit dans ses bras, l'enveloppant dans sa chaleur, et il se détendit.

    - Ce n'est pas grave, mon trésor. Moi, j'aime les cerfs. Comme ton père. Comme toi.

    Il s'endormit contre elle sans oser lui dire qu'il l'aimait également.

    ****

    Ekalayel se réveilla lentement, clignant plusieurs fois des yeux pour s'habituer à la brillance des étoiles qui luisaient au-dessus de lui. Il se souvenait vaguement des rayons fugaces du soleil entre les cimes. Plusieurs heures s'étaient succédées depuis sa faiblesse.

    - Tu n'as vraiment pas changé, perdrix décolorée. Toujours aussi émotif.

    L'ancien surnom ne lui fit rien ; il n'y avait pas cette haine diffuse qu'il y décelait auparavant. la voix de Siarel était presque amicale sous son ton neutre.

    Il se redressa pour regarder autour de lui et blêmit en remarquant qu'il se trouvait sur l'autre rive. Sur les terres du Clan. Il ne pouvait plus reculer désormais.

    - Les autres sont partis prévenir le Chef. Prépare-toi, perdrix.

    - J'ai un nom, souffla-t-il, n'ayant pas assez de confiance pour hausser la voix. Il s'attendait à un éclat dans l'aspect calme qu'il lui présentait mais il leva vers lui des mains apaisantes et s'excusa.

    - Je sais, Ekalayel. L'habitude… Pardonne-moi si je t'ai autrefois insulté par ce surnom. J'étais vraiment *Quiiiiiick*, et cruel.

    - Autrefois, c'était seulement… euh… ya pas longtemps…

    Il fallait bien que sa mémoire flanche au mauvais moment, l'empêchant de persifler avec conviction ! Mais Siarel se tassa quand même, comme frappé par ses mots.

    - Tu as raison, il y a moins de deux ans. Mais tout ce temps à te croire mort après que tu m'ais hurlé au visage que mon comportement était en grande partie la raison de ton départ précipité…

    Siarel détourna un regard coupable. Son ancien tourmenteur éprouvait donc du regret ? Il était loin de l'image que son esprit avait conservé de lui et qui avait hanté ses rêves. Il remarqua alors que la joue droite de l'autre elfe présentait une horrible marque péniblement cicatrisée. Aussitôt, son empathie se réveilla et il oublia la voix mauvaise qui le tourmentait dans ses souvenirs fugaces, pour seulement voir le jeune elfe à peine plus vieux que lui et ses blessures.

    - Comment t'es-tu fait ça ? demanda-t-il en tendant les doigts vers la cicatrice, n'osant cependant pas la toucher, ni même l'effleurer. Siarel frémit à la présence fantôme et haussa les épaules.

    - Un juste retour des choses pour mes idioties cruelles.

    Il le regarda droit dans les yeux.

    - Je croyais t'avoir poussé vers le carna..

    Il s'arrêta en pleine phrase, ravalant son mot, pour le regarder avec hésitation et reprendre plus doucement :

    - La mort qui a frappé tes parents.

    - Je ne sais pas… enfin, je suis vivant…

    Sa voix lui manqua et il continua faiblement en sanglotant
    :
    - Ils sont… vrai…iment morts ?

    Siarel fronça les sourcils.

    - Tu ne le sais pas ?... Ah, attends, j'ai compris. Tu as oublié, occulté les souvenirs.

    - Tout est bloqué ! gémit Ekalayel en se prenant la tête dans les mains. Son incapacité à s'en souvenir y faisait battre un tambour épouvantable. La douleur lui donnait le tournis.

    - Ah non, perdrix ! Ne retombe pas dans les pommes. Une fois, ça me suffit. Je ne suis pas une nourrice.

    Les yeux turquoise le transperçaient. Ses sanglots devinrent des pleurs, ses anciennes peurs revenant en force.

    - Désolé…

    Siarel soupira, devinant que son ton avait été trop brusque.

    - Non mais, tu es vraiment un pleureur…

    Tout en marmonnant, sa main vint ébouriffer les cheveux du jeune elfe.

    - Quand tu es comme ça, j'ai l'impression d'avoir cent ans de plus que toi, et pas seulement dix.

    A travers ses larmes, Ekalayel détailla l'elfe qui l'avait presque convaincu de se tuer par son harcèlement. Siarel n'avait physiquement guère changé. Ses cheveux, quoiqu'un peu plus longs, étaient toujours de ce gris de nuit de pleine lune. Ses yeux clairs et sévères vous percutaient toujours autant mais une certaine sagesse s'y était lovée, chassant la cruauté. Ils ne brillaient plus de méchanceté ; une douceur habilement camouflée y luisait désormais. Quelque chose avait définitivement changé chez Siarel, et en bien.

    Alors Ekalayel sentit l'espoir enfler à nouveau en lui. Peut-être qu'un autre accueil que le rejet l'attendait finalement à son retour dans son Clan.

    Le regard de Siarel se fit désolé.

    - Je suis navré, perdrix. Lui n'a pas changé d'avis.

    Il déglutit douloureusement. Ce lui ne pouvait que concerner son grand-père, le chef du Clan, et donc le Clan lui-même. A ce qu'il comprenait, Siarel était une exception. Son espoir mourut en silence.

    - En t'aidant même, ajouta Siarel en soupirant doucement, je me mets en difficulté dans la lutte pour la succession du Clan.

    - Alors pourquoi m'aides-tu ?

    - Parce que j'ai droit à la seconde chance que je croyais perdue à jamais. Je ne vais pas la jeter aux loups.

    « Il me croyait mort », se rappela Ekalayel. Il sourit doucement en prenant la main qui s'était attardée dans ses cheveux. Un peu à son tour d'apporter du réconfort.

    - Je te pardonne, tu ne me dois plus rien, Siarel.

    La sérénité fredonnait au fond de son esprit pour une fois clair et apaisé. Siarel le fixa étrangement avant de lui rendre son sourire.

    - Laisse-moi en décider. Je…

    Il s'arrêta brusquement, ravalant sa salive, le regard soudain apeuré et fixé derrière le jeune elfe. Ekalayel se retourna et son souffle se raréfia une nouvelle fois en croisant les yeux grisés d'une implacable dureté.

    - Grand-père…
  • silivren7
    silivren7 Member Messages: 64 Utilisateur Arc
    - Chef Tianodel, murmura faiblement Siarel en se relevant d'un geste roide. Le vieil elfe ne lui accorda qu'une seconde de regard. Il rivait sur Ekalayel une face de loup.

    - Je t'avais interdit de revenir, proscrit. Tu avais choisi.

    - Grand-père… réessaya Ekalayel en titubant quelques pas timides vers lui, les mains tendues. Il ne reçut en réponse qu'une froide ignorance.

    - Chasseur Siarel, tu as fait rentrer un proscrit sur les terres du Clan. Un intrus.
    Mis de côté, il ne put que souffrir en silence le rejet indifférent du dernier membre de sa famille. Siarel serra les poings, se redressant face à son supérieur.

    - Il est votre sang, Chef Tianodel, et non un intrus.

    - Tu te discrédites pour ma succession, le prévint férocement le vieil elfe. Siarel pointa rageusement du doigt Ekalayel qui restait muet devant la confrontation.

    - Il est là, votre héritier !

    - Ce n'est qu'un lâche incapable de chasser. Il ne peut prendre la tête du Clan.

    - Du moins peut-il traquer ! rétorqua Siarel, à son grand étonnement. Laissons-lui une chance de prouver sa valeur. Voyez donc son courage pour revenir ici après tout ce qu'il s'est passé.

    - Je ne chasse pas ! explosa Ekalayel qui en avait assez d'assister comme spectateur à une dispute qui le concernait. Et je ne veux pas être le chef d'un Clan aigri et cruel. Je veux juste voir mes parents…

    Essoufflé par son explosion, il haletait par à coups, son corps lui envoyant des vagues de douleur qu'il ignora. Loptr vint se coller à ses jambes, tapant du sabot vers les deux autres elfes qui le regardaient comme des hiboux dérangés par un bruit importun. Il avala sa salive et s'avança courageusement vers le vieil elfe avant qu'il ne reprenne ses esprits.

    - Où sont-ils, grand-père ?... Vous les avez enterrés, au moins ?

    Il n'eut en réponse qu'un silence et un regard vague, comme s'il ne le voyait pas. La digue se brisa en lui et ses larmes coulèrent sur ses joues. Perdant le contrôle de ses émotions, il s'accrocha à la tunique vert de mousse et hurla au visage inexpressif :

    - Grand-père !! Où sont-ils ?!!

    - D'une rive à l'autre. Darhan avec les siens, sa déchéance hors du Clan.

    Il le regarda enfin et il trembla devant tant de fureur.

    - Tu as jusqu'à l'aube. Après, tu seras un intrus sur les terres du Clan. Et tu seras châtié en conséquence.

    Son grand-père finit sa phrase en le repoussant violemment par terre.

    - Mer…ci… bafouilla Ekalayel à travers ses sanglots, ne parvenant pas encore à réaliser la violence que son grand-père - mais pouvait-il encore l'appeler ainsi ? - avait eu à son encontre. Le vieil elfe renifla, méprisant, et se détourna de lui pour retourner vers les sous-bois. Alors que Siarel lui emboîtait le pas, peut-être pour lui faire changer d'avis, il fit vivement volte-face pour empoigner son arc et violemment le briser. L'action avait été si rapide, sans aucune hésitation dans ses gestes, que Siarel n'avait pas réagi. Toute couleur déserta cependant son visage quand les deux morceaux de son arc amoureusement confectionné tombèrent sur la terre humide.

    - Siarel, tu es banni du Clan pour le crime d'avoir mené un intrus sur ses terres. Montre les tombes au proscrit et allez-vous en. A jamais.

    Siarel ne répondit rien. Le vieil elfe disparut entre les futaies sous le regard choqué de son petit-fils. Il se releva et courut aux côtés de Siarel, inquiet de son regard vide.

    - Pourquoi ?... Je ne comprends pas.

    - J'ai désobéi en t'aidant, marmonna Siarel en récupérant son arc brisé dans ses mains tremblantes.

    - Je suis désolé… Siarel, je…

    - Viens, le coupa-t-il. C'est par-là.

    Ekalayel rabaissa sa main, douché par l'indifférence froide que lui offrait l'autre elfe alors qu'il essayait de le réconforter. Loptr collé à ses jambes, il le suivit d'un pas morne, le cœur de plus en plus labouré de douleur à chaque pas.

    Il allait devoir faire face à ses parents morts alors qu'il n'avait aucun souvenir d'eux.
    Pourtant son cœur tombait en lambeaux.
    ****

    La flèche trancha l'air et se planta adroitement dans le bout de bois avant qu'il ne tombe à terre. Ekalayel leva des yeux timides vers son père. Il tenait déjà un autre bâton, un sourire aux lèvres. Il ressemblait tellement au patriarche de la famille qu'Ekalayel avait du mal à se détendre en sa présence.

    Sauf lorsqu'il souriait. Son grand-père ne souriait jamais, encore moins en sa présence.

    - Fabuleux, mon garçon. Je crois que tu tires mieux que moi…

    Il lança le bâton et, bandant son arc dans la foulée, le perça en plein vol.

    - Du moins, à ton âge.

    Il rentrait la tête entre les épaules, penaud, quand il ajouta :

    - Prépare tes flèches, mon garçon, je vais t'apprendre ce petit tour. Avec ton talent, je suis certain que tu y arriveras avant la prochaine halte.

    - Oui !

    Son enthousiasme manqua de le faire tomber à terre, déclenchant le rire de son père qui le retint dans sa chute. Jamais son sourire ne lui avait autant étiré les joues.

    Il s'avéra que son père avait raison.
  • silivren7
    silivren7 Member Messages: 64 Utilisateur Arc
    La tombe était d'une simplicité minimale : un emplacement de terre retournée, légèrement surélevé, et une petite stèle en pierre, approximativement lisse, ornée d'une courte épitaphe et du symbole de Sélune. Ekalayel s'agenouilla devant en se mordant les lèvres, pris d'assaut par une tristesse incontrôlable.

    - Bonjour, papa… je t'aime, tu sais ? Désolé de ne pas me souvenir de toi. Mais je vais bien maintenant, tu n'as à t'inquiéter, je suis devenu plus fort… Enfin, on m'a aidé.
    Darhan, fils de Tianodel, des Gris-Lune
    Fils imbécile, il fut un bon chasseur
    mais trahit son Clan.
    Que Sélune l'accueille.
    1250-1482

    La lecture de l'épitaphe le laissait avec un goût amer en bouche. Son grand-père n'avait pas réussi à camoufler l'amour qu'il avait eu pour son fils, malgré la mention de sa "trahison".

    - Pourquoi ne m'a-t-il jamais aimé, moi ?

    Siarel, qu'il avait entretemps occulté, lui répondit d'une voix douce :

    - Darhan était le meilleur chasseur depuis la jeunesse du Chef Tianodel. Il en était tellement fier… puis est venue Iteya et Darhan a trahi le Clan en partant avec elle. Tu lui ressembles.

    - Auquel ?

    - Aux deux, justement. Tu lui rappelais son fils adoré mais également celle qui lui avait volé. Et quand tu as foiré la Grande Chasse devant tout le Clan…

    - C'est son souvenir à elle qui a pris le pas, comprit Ekalayel. Sa tristesse et son amertume lui tombèrent comme un poids sur l'estomac.

    - Eux, ils t'aimaient, continua Siarel. Tout le Clan a cru que Darhan allait tuer le Chef Tianodel quand il a vu ton état psychologique, et physique aussi. Moi-même… J'ai vu le Cerf d'Argent de près, très près, et ses cors étaient terribles crois-moi, surtout lorsqu'il était en colère.

    Incompréhensif, il se retourna vers l'autre elfe un sourcil levé et le trouva la main sur sa cicatrice, les yeux voguant dans les souvenirs. Le déclic se fit.

    - Le Cerf d'Argent, c'est mon père ?

    - Oui. Tout le monde l'appelait avec respect comme ça.

    - Il t'a fait ça, pour moi ? Parce qu'il m'aimait, pour ce que je suis. Lui, le meilleur des chasseurs du Clan ?

    - Oui, perdrix, oui à tout.

    - Alors pourquoi tu ne me hais pas encore plus ?

    Siarel soupira, agacé. Il le reconnaissait mieux avec cette émotion au visage. Mais il devait avoir appris une certaine patience car il lui répondit calmement :

    - Je te l'ai dit… Tes parents sont venus, ont manqué massacrer ceux qui t'avaient persécuté - enfin, Iteya a arrêté la lame vengeresse de Darhan - et quelques jours plus tard, une patrouille retrouve leurs corps dév… lacérés et toi qui a disparu. Je me sentais coupable ! Si le Clan, dont surtout moi, ne t'avait pas autant blessé, vous seriez restés un peu et l'ennemi qui en voulait à tes parents se serait frotté au Clan entier. Et nous aurions triomphé… vous seriez tous les trois en vie.

    Le chasseur se figea en l'apercevant les yeux embués de larmes retenues et soupira plus fort.

    - Je suis pas entraîné pour ça…

    - Mais, gémit Ekalayel, c'est tellement triste que tu t'en veuilles autant alors que ce n'est pas ta faute !

    - Mais comment tu as fait pour survivre tout seul ?

    - Je ne sais pas. Et après, j'ai eu des amis, renifla doucement Ekalayel, serrant fort contre lui le petit corps de Loptr.

    - C'est bien, des amis.

    Ekalayel inspira une bouffée de l'air frais pour reprendre courage et se leva après une prière à la Déesse-Lune.

    - Et ma mère, où est-elle ? s'enquit-il à Siarel qui lui indiqua de la main l'autre rive de la rivière-frontière. Une fois qu'il l'aurait passée, il quitterait à jamais le Clan, définitivement banni.

    - Au revoir, papa, murmura-t-il en caressant la stèle dans le mouvement pour se relever. Son cœur se tordait mais il ne pouvait laisse son affliction le submerger. Pas maintenant, il devait encore faire quelque chose.

    Ils traversèrent prestement la rivière et une colère noire s'enflamma aussitôt qu'il vit la petite motte de terre sans stèle et sans nom.

    - Maman…, murmura-t-il dans un sanglot rageur. Ignorant Siarel qui lui expliquait l'amertume de son grand-père - qu'il s'en foutait pour l'heure ! - Ekalayel cherche compulsivement une pierre rectangulaire à peu près lisse et dégaina l'une de ses courtes lames pour y graver des plus jolies lettres qu'il put :
    Iteya, femme de Darhan
    Epouse et mère aimante.
    Que Sélune l'accueille.
    - 1482.

    Quand il eut fini, il s'attela à dessiner au-dessus le symbole de la déesse, indifférent aux crissements de la lame sur la pierre. Siarel, qui s'était fait silencieux, vint l'aider à planter la stèle en terre puis se recula pour lui laisser une relative intimité.

    - Bonjour, maman. Je t'aime.

    Agenouillé dans l'herbe humide, il en était intimement convaincu, à défaut d'en avoir des souvenirs concrets.

    - Même si je m'en souviens pas, je sais que je t'aime et que tu me manques énormément.

    Il renifla et frotta son visage maculé de larmes et de terre.

    - Je serai heureux, je te le promets. Alors tu peux reposer en paix avec papa et la grande Sélune. Je vous embrasse tous les deux, papa et toi.

    Il laissa les derniers sillons s'estomper et se releva vers Siarel.

    - Montre-moi où ils sont morts, lui ordonna-t-il d'un ton ne soufflant nulle réclamation. Siarel hocha la tête et se dirigea vers les chevaux. Il s'avérait que Comète avait été le cheval de son père, comme Lunhoux celui de sa mère. Ekalayel ne les en aimait que plus. Il autorisa Siarel à monter Comète, ce dernier ne le rejetant pas. Il avait d'ailleurs plus fière allure que lui sur le large dos noir. Ils allaient s'éloigner du Val Gris pour au moins trois jours de chevauchée et il ne pouvait pas prévenir dame Harfang et messire Swen… il voulait de toute façon régler ce problème seul, ou du moins avec une personne au courant de l'affaire. Il referait le chemin inverse pour les retrouver avant de repartir vers Padhiver.

    Le voyage se fit dans un silence dont le poids augmentait à mesure qu'ils approchaient du lieu de la tragédie. Siarel lui jetait souvent des coups d'œil mais il chevauchait sans se retourner, bien décidé à en finir avec les ombres et le sang de son passé. Son angoisse s'insérait pourtant dans la moindre parcelle de son corps.
    Il se sentait mal sur cette route et les souvenirs bloqués venaient frapper contre la serrure. Ce qu'il y avait à l'intérieur de ce coffre scellé le terrifiait, et ce n'était pas seulement l'appréhension de l'inconnu. Quand le sentiment d'oppression lui donna la nausée, il sut avant que Siarel ne lui indique qu'ils étaient arrivés.

    Une clairière à la douce lumière verdoyante se découvrait devant eux. Mais Ekalayel n'arrivait pas à en voir la beauté. Ses intestins entortillés le prenaient trop à la gorge pour ça. Au premier pas de Lunhoux dans la clairière, la sensation lui sauta à la gorge. Il poussa un cri et tomba à terre sous les appels interloqués de Siarel et les brames effrayés de Loptr.

    Son esprit avait cependant déjà dérivé dans le passé…
  • silivren7
    silivren7 Member Messages: 64 Utilisateur Arc
    Ekalayel aidait sa mère à préparer le repas à partir de ce qu'il était allé chercher avec son père dans la forêt. Ce dernier était reparti dans le sous-bois, un pli soucieux au front. Il lui semblait avoir entendu un prédateur dans les environs. Le jeune elfe nettoyait les racines en fredonnant joyeusement, le visage réchauffée par une écharpe rouge que sa mère lui avait tricoté. Son père revint au moment où ils avaient fini leur ragoût et ils s'attablèrent sous un bruit de fond de babillage familial qui emplissait l'âme endommagée d'Ekalayel d'un baume de douceur.

    Mais sa sensibilité exacerbée lui soufflait un vent de pourriture qui lui hérissait les poils. Se convainquant qu'il ne s'agissait que de réminiscences de son passé au sein du Clan, où il n'était jamais tranquille, il ignora la sensation. Fatigué par ces trois derniers jours de fortes émotions, il alla se coucher le premier, laissant ses parents en tête à tête. Ses songes l'emportèrent dans l'avenir d'une famille unie et apaisée.
    Il fut réveillé en plein milieu de la nuit par un cri étranglé, indéniablement féminin, venant incontestablement de sa mère. Il se redressa en sursaut et son souffle se bloqua en avisant son père embroché par la lame osseuse d'un énorme homme-lézard. Il n'en avait jamais vu jusqu'alors.

    - Darhan ! appela à nouveau sa mère. Elle venait elle aussi de se réveiller. La gueule béante de la créature s'ouvrit sur des crocs dont la puanteur le prit à la gorge malgré la distance. Il cria une nouvelle fois avant d'être aveuglé par un éclat de lumière qui explosa la face écailleuse. Son père se recula auprès de sa femme, pressant une main sur sa plaie sanguinolente. L'elfe de lune avait les mains illuminées et un orbe oscillait au-dessus de sa tête.

    Sa mère était une magicienne.

    - Ne touchez pas à mon mari et à mon fils ou vous le regretterez, prévint-elle la horde d'une voix dangereusement basse. Ekalayel devinait maintenant le nombre considérable d'homme-lézards qui les entouraient. Il se réfugia presque à quatre pattes auprès de ses parents, tremblant de terreur devant les yeux rougeoyants et les cruels visages emplis de crocs et d'écailles.

    - Semuanya, articula hargneusement la plus grosses des créatures, abordant en couvre-chef un masque fait d'os et représentant une tête reptilienne. Vous, profanés Semuanya. Manger vous, pour punir.

    Il cracha ensuite une insulte dans sa propre langue. La peur d'Ekalayel sombra dans un gouffre quand il vit les regards angoissés que ses parents s'échangèrent.

    - Les marais de Chelimbre, murmura Darhan en attrapant son arc malgré le flot de sang qui s'écoulait de sa blessure qui n'était plus pressée. Sa mère prépara un nouveau sort et lui répondit :

    - Le raid que nous avons arrêté. Je craignais que cette idole brisée ne nous retombe dessus.

    - Mais, si loin des marais… la poisse ! maugréa son père en le regardant, la mine plus qu'inquiète. Les yeux clairs de sa mère en étaient le miroir.

    - Je les retiens. Sors-le de là.

    Elle lança aussitôt un sort de foudre qui électrocuta cinq ou six ennemis. Le chef poussa un puissant rugissement et sa horde se jeta sur la magicienne. Ekalayel cria quand un homme-lézard s'approcha de lui à pas rapides et recula précipitamment. Son père sauta sur le dos de la créature et ils roulèrent sur le feu dans une gerbe de braises étincelantes qui illuminèrent les écailles roussies, imprimant cette terrible image dans les rétines du jeune elfe impuissant. L'obscurité leur tomba dessus l'instant d'après, seulement entrecoupée par les éclairs de sa mère.

    - Darhan ! appela-t-elle en foudroyant un énième homme-lézard qui fonçait en hurlant sur Ekalayel. L'elfe sylvestre sauta sur ses pieds, tuant d'une flèche dans la tête trois créatures avant d'arriver près de lui. Il l'attrapa par la taille, comprenant qu'il était tétanisé par les ombres mouvantes qui les enveloppaient, et l'embarqua à bras le corps hors de la mêlée. Il se réveilla en sentant les flancs puissants de Comète entre ses jambes et se tourna affolé vers son père.

    - Papa !

    - Fuis, mon garçon. Je…

    Il empoigna l'un de ses couteaux en se retournant vivement pour étriper l'homme-lézard qui avait lacéré son dos. Ce fut un visage ensanglanté et un souffle court qui revinrent vers lui.

    - Nous t'aimons, fils. Ne l'oublie pas.

    Il lui prit la tête entre ses mains pour la poser contre son front. La seconde d'après, il avait disparu parmi les ombres et Comète galopait loin du danger, Lunhoux accrochée à sa suite. Ballotté sur le large dos, sous les cris de ses parents qui mourraient pour qu'il vive, il s'enfuyait sans réussir à arrêter le cheval ou à bouger ses jambes gelées par la peur.

    Puis son esprit se brisa et il ne resta que les ombres et le sang de cette nuit funeste.

    ****

    Il était agenouillé dans l'humus humide et il pleurait. Il pleurait ses souvenirs revenus avec leur douloureuse révélation et le sentiment de trahison.

    - J'ai oublié, papa, je vous ai oubliés… gémit-il en se prenant la tête dans les mains, une longue plainte déchirant sa gorge. Dire qu'il avait aussi enfermé les bons souvenirs, les meilleurs qu'il possédait, avec cette nuit de malheur.

    Une main chaude se posa délicatement sur son épaule.

    - Ils comprennent sans doute, lui dit Siarel. Il secoua violemment la tête.

    - Non, non, non, non… Je me suis enfui ! Je les ai laissés…

    - Tu crois qu'ils auraient voulu que tu meurs avec eux ?

    - J'aurai dû…

    - Ah ! Perdrix, tu m'énerves, grogna Siarel qui perdait doucement patience devant son apitoiement têtu. Il l'agrippa par son écharpe et le remit sur pieds de force.

    - Avance donc ! C'est ce qu'ils voudraient. C'est ce que j'ai vu dans les yeux furieux du Cerf d'Argent lorsqu'il a manqué de me tuer pour ce que je t'avais fait !

    Vacillant sur ses pieds, il hocha faiblement la tête, le regardant sans le voir, et tituba vers Lunhoux.

    - Où vas-tu ?

    - Ma cabane…, marmonna Ekalayel en mettant la jument au pas. Siarel soupira devant une telle réponse mais se jucha sur Comète qui suivit le léger trottinement de la haquenée. Etrangement, une fois dame Harfang et messire Swen retrouvés, auxquels il ne dit rien sur sa confrontation avec son Clan et son passé, le chasseur reprit la route avec eux. Ekalayel ne chercha pas à savoir ses raisons.

    Il voulait juste rentrer chez lui pour se rouler en boule dans sa couette de plumes.

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